Je suis Belle
Je suis belle est l’une des premières manifestations significatives du procédé de composition par assemblage que Rodin développa dans le courant des années 1880. Il adapta la figure masculine de L’Homme au serpent, créé dès 1885, et lui adjoignit la Femme accroupie, toute recroquevillée sur le torse puissant de celui qui l’enlève de terre – l’un des titres alternatifs qui fut donné à cette œuvre est précisément L’Enlèvement.
Lorsqu’il exposa ce groupe pour la première fois, en 1886, à la galerie Georges Petit, Rodin l’accompagna de la première strophe du poème « La Beauté » de Charles Baudelaire :
« Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Éternel et muet ainsi que la matière.
Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris ;
J'unis un coeur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.
Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d'austères études ;
Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles ! »